≈ Le jour banal du docteur Sloan n’était pas du tout sur le même pieds que celui de la petite Lily-Ève Dylan Rose. En fait, il y avait un bout que les mots « journée » et « banale » n’allait plus ensemble dans la tête de la toute petite princesse. Depuis que sa mère avait paniqué à Montréal et qu’elle avait tout mis dans la voiture. Et Lily s’était réveillée dans un pays où la langue n’était pas le français, où sa maman semblait toute perdue elle aussi. Ce matin-là, Lily s’était réveillée sur le ventre dans son petit lit d’hôpital aux soins intensif pédiatrique. Dans la pièce, il y avait une tonne de gens qui parlait mais ce qu’ils disaient semblait étrange à la petite princesse. Ce n’était pas du français, ni du créole comme parlait la dame qui la gardait comme avant. Elle avait refermé les yeux et s’était rendormie doucement calé contre son doudou.

≈ Elle était sous entrée d’oxygène constant. Pour la simple et bonne raison qu’elle n’arrivait toujours pas à respirer convenablement selon la docteure Robbins qui était celle qu’elle avait brièvement aperçue à son admission. Le niveau d’oxygène de la fillette était bas, mais la grande dose de calmant qu’on lui avait administré suffisait à la calmer et lui permettait de dormir. Sur les coups de 11 heures, elle s’était même assise seule droite dans son lit et avait grignoté un peu du plateau qu’elle avait devant elle. Ce fut à ce moment qu’elle réalisa pour la première fois qu’il manquait quelqu’un dans la pièce. Il n’y avait pas sa maman. Sa grande héroine! Lily-Ève avait terriblement peur des hôpitaux. Du temps où sa mère et elle vivaient à Montréal, il n’y avait jamais de grand problème parce qu’à chaque fois que Lily était hospitalisée, elle avait toujours droit aux mêmes infirmières qui l’entourait. Ces infirmières la connaissaient. Mais malgré son jeune âge, Dylan était capable de savoir, juste en regardant par sa fenêtre, qu’elle n’était pas au Centre Hospitalier Universitaire Sainte-Justine. À la place du parc qu’il y avait à côté de sa fenêtre en temps normal, il y avait des grands bâtiments tristes et gris qui se succédaient à perte de vue. En essayant de se relaisser tomber sur le dos, la petite fille poussa une plainte déchirante.

“Les araignées bleues, y'en a pas chez nous
Ton monstre électrique, c'est un monstre doux
Il craque les antennes et il mange des sous
Mais il donne des becs sans pincer les joues

Des fois, j’ai peur un peu des fois…
Des fois, j’ai peur beaucoup des fois…
Des fois, j’ai peur un peu des fois…
Mais des fois, je n’ai pas peur du tout.”

≈ La petite fille tremblait dans son lit, terrorisée en serrant sa peluche, un vieux Porcinet qui portait très bien ces quatre ans de vie avec une petite fille malade et brulée. Intérieurement, la petite constata qu’il sentait encore le parfum de sa mère, un mélange étrange de lavande et de vanille très doux et discret. Elle fixait maintenant partout autour d’elle en s’accrochant à son doudou comme sa vie en dépendait. Elle murmurait en boucle les paroles de cette chanson qui l’avait tellement marquée. Elle était tiré d’un épisode de Passe-Partout, une émission pour enfant des années 70-80 au Québec dont les épisodes étaient paru sur DVD récemment. Dans l’automobile, sur le chemin qu’avait fait Lysandre, la mère de Lily qui avait péri dans l’incendie qui avait causé les immenses brûlures à la petite, et sa puce, le CD génération Passe-Partout avait été le seul disque autorisé par la fillette... enfin avec toutes les Annie Brocoli de ce monde. Elle chantonnait encore dans l’oreille de son ourson en peluche quand un homme grand dans l’habit bleu foncé des titulaires entra. Il était un géant du point de vue de la petite fille. Ces cheveux étaient châtains foncés mais parsemé de mèches clairs signe d’une grande autorité dans le dictionnaire de la petite fille. La petite fille déglutit lentement, encore plus tétanisée par la présence de ce grand monsieur dans sa chambre. La machine d’oxygène sonna un coup ou deux prévenant que la fillette manquait d’oxygène et elle relâcha son souffle. Une petite quinte de toux saisit la petite qui détourna son regard et se cacha derrière son doudou.

“Bonjour mademoiselle. Alors comme ça, on s’est fait un méchant bobo? Tu es toute seule? ”

≈ Le monsieur aurait pu parler chinois que la réaction de Lily n’aurait pas été différente. Une petite tête se dégagea de derrière le toutou et deux petits yeux bleus fixèrent interloqué le Géant. Lentement, la fillette cligna des yeux. Elle n’était pas folle. Définitivement, le médecin ne parlait pas un traitre mot de français. Elle lui sourit doucement comme s’il lui aurait dit quelque chose de gentil. Ses joues s’étaient teintées d’une coloration indéniablement rouge tomate. Lily n’était pas du nombre qui n’aimait pas comprendre quelque chose. La situation était pire parce que la fillette voulait savoir exactement la même chose que ce que le médecin voulait savoir.

“Où esseque maman est cachée? ”

≈ La voix de la fillette était un mince filet timide qui se faufilait à peine derrière le toutou. Elle répéta une seconde fois voyant qu’elle n’avait pas de réponse à sa grande question existentielle. L’inquiétude de la fillette était réelle et sa voix était rapide tout comme son souffle, court. 21

≈ Lily n’était déjà qu’un bébé. Un minuscule bout d’être humain qui en avait vu beaucoup trop pour son jeune âge. C’était pour cette raison que sa mère était si importante dans sa vie. Que sa mère avait une place si centrale dans son petit univers. Elle n’avait jamais connu son père et il n’y avait jamais eu d’homme avec sa mère assez longtemps pour qu’elle ait l’impression d’avoir un papa, un père. Quelque jour avant la naissance de Lily, il avait marché sur une mine, dans un pays lointain qui était déchiré par une guerre terrible. Cet homme avait explosé dans une brume rose. C’est comme ça que l’on appelle une personne qui se désagrège sous l’impact d’une explosion d’un missile nucléaire. Une brume rose dans un coucher de soleil sur un pays de désert. Et Lily était née quand même, petite et fragile. Elle avait grandi, vieilli et appris à vivre. Mais voilà que son univers venait d’imploser pour la seconde fois. Voilà qu’elle était de nouveau dans ce monde si différent, si choquant pour une si petite fillette.

“Raaaah...Ce genre de situation n'arrive qu’à moi. ce n'est pas possible...”

≈ L’homme avait l’air déçu ou exaspéré du point de vue de la fillette. Comme si elle aurait fait quelque chose de mal. Comme si elle aurait fait une grave erreur. Elle le regarda avec des grands yeux pétillant. Elle avait mal oui, mais elle était capable de faire abstraction à la douleur par moment. Assez pour comprendre les émotions de l’homme autant que le permettait son jeune âge. Elle essaya de se relever dans son lit sans lâcher son doudou qu’elle tenait toujours aussi serré contre elle. Il était important pour elle. Il avait toute une valeur ce doudou. Il avait encore parlé dans cette langue étrange. Mais sans s’adresser à elle. Elle ne comprenait pas pourquoi il parlait au plafond. Mais elle savait qu’elle avait fait quelque chose de mal. Quelque chose qui décevait le médecin. À cause de son intonation. De sa voix basse qui semblait déçue. Elle tendit son doudou avec un grand sourire naïf, comme ceux des enfants et murmura encore dans un français doux entre deux quinte de toux sèche.

“Pas fâchée hein? ”

≈ Il y avait quelque chose de très humain, de très doux et de très attentionné dans la voix de la petite Lily-Ève. Même s’il n’avait pas compris ce que la jeune fille disait, il aurait pu comprendre ce qu’elle avait voulu dire. Elle avait froncé les sourcils en essayant de lui montrer la colère. Mais ce n’était qu’une toute petite fille qui ne comprenait pas nécessairement ce que le médecin voulait dire. Elle était consciente que c’était compliqué terriblement compliqué. Elle l’avait compris quand le docteur Robbins n’avait pas réussit à la comprendre quand elle avait posé la même même question que celle qu’elle venait de poser au docteur Sloan. Elle voulait juste savoir où était sa maman. Quand elle reviendrait à l’hôpital pour s’occuper d’elle. La jeune fille était complètement perdue et elle avait toujours eu terriblement peur des hôpitaux.

“ Moi... Docteur Sloan et toi? Tu t'appelles comment? ”

≈ Il était drôle peut-être. Mais pour Lily-Ève, la situation était terriblement sérieuse et elle adorait le fait qu’il s’était mis à sa hauteur. Qu’il s’était mis gentiment dans sa hauteur. Lily comprenait l’importance que cela avait. La petite fille soupira un peu avant de rigoler contente que quelqu’un l’avait enfin comprise. Elle était perdue dans ce grand hôpital. Elle était perdue dans cet univers. Et voilà qu’elle se redressa dans son lit un peu plus.

“ Moi Lily. Lui porcinet. ”

≈ La petite fille se désigna doucement avec un grand sourire. Elle rougit doucement. Elle lui tendit sa peluche avec insistance encore en répétant son nom. L’homme dit par la suite quelque chose qui fit rougit complètement la jeune femme qui ne savait pas quoi dire ou quoi faire.[/justify]

“ Tu ai traille belle ”

Agatha passait une très bonne journée et donc elle était de bonne humeur. Toute la matinée elle avait eu ce sourire radieux affiché sur ses lèvres, et elle n’en était que plus belle. Même l’humeur de sa résidente Cristina Yang n’avait pas réussi à la démoraliser, c’est pour dire…

Elle ne pouvait pas expliquer cette humeur, mais pour une fois, il ne lui arrivait pas des trucs pas possibles. Elle faisait donc ses consultations du matin en compagnie des autres internes du Dr Yang et de Cristina elle-même, quand son bippeur sonna.

C’était le Dr Sloan, et il avait besoins d’elle à la chambre 205.

_ Dr Yang, le Dr Sloan m’a bipé.

Cristina lui fit signe de partir. Notre jeune interne se dépêcha d’aller à la chambre 205, qui se trouvait en pédiatrie.
Quand on est un interne, on ne se déplace pas en marchant quand on vous bipe, car s’il s’agit d’une urgence, votre patient est mort avant que vous n’arriviez.
Elle arriva donc vite devant cette fameuse chambre, s’arrêta un instant pour se donner bonne figure et entra.

Le Dr Sloan était en compagnie d’une charmante petite fille, mais elle avait de grosses brulures sur son corps. Agatha ne comprenait pas vraiment pourquoi le titulaire en chirurgie plastique l’avait bipé elle.

_ Dr Sloan, qu’elle est le cas ?

≈ Elle se sentait étrangement à l’aise avec le chirurgien. Peut-être bien parce qu’il ressemblait un peu au Docteur Ross qui était en charge de son cas en pédiatrie à Sainte-Justine. Il était rassurant. Mais elle savait que ce n’était pas lui. Elle était petite, perdue mais pas idiote pour autant. L’enfant le regarda donc avec un petit sourire en retentant de se lever dans le matelas mou.

“Non! Non! Non! Reste allongé!”

≈ Il y avait quelque chose de protecteur chez le docteur Sloan. Quelque chose de gentil et de presque paternel. Et pour une jeune fille qui avait toujours grandi sans un père à la maison pour lui dire de ne pas faire certaines choses c’était très intimidant et étrange. Elle pencha un peu la tête. Ses petits cheveux blonds pâles encore attaché par les élastiques roses à l’image des Bisounours faisaient comme deux petites cornes qui auraient poussé derrière la tête de la fillette. Elle avait des grands yeux lumineux qui semblaient troublé par l’ordre donné par l’homme. Il fallait aussi dire que la mère de Lily-Ève était un peu le genre de mère irresponsable qui n’était pas nécessairement toujours présente pour aider sa fille et lui dire qu’il ne fallait pas faire ceci ou cela. C’est pourquoi l’interdiction de se lever dans le lit pour faire un câlin semblait si étrange. Parce qu’à Sainte-Justine, souvent ou lui autorisait de faire un câlin à Marielle, son infirmière préférée après l’installation d’une perfusion où la petite n’avait peu ou pas pleurer.

“Mais j’ai bobo! ”

≈ Ça se voyait qu’il voulait être gentil avec Lily, mais la petite princesse n’avait pas envie d’écouter. La chemise d’hôpital cachait la plus grande partie des plaies qu’elle avait dans le dos. Mais elle ne voulait pas se recoucher dans le lit. Assise, la douleur n’était pas si pire. Couchée sur le dos, la douleur était terrible. Couchée sur le ventre, elle avait l’impression d’être en séance de kinésithérapie respiratoire et non pas qu’elle ait toujours détesté la sensation d’être en traitement… mais la sensation d’être en traitement permanant l’écœurait un peu plus qu’elle n’était capable de le prendre… Elle cessa donc de tenter de se relever dans le lit. Et finit par s’assoir résignée en fixant le médecin avec un air tristounet.

“On va s’occuper de toi…”

≈ Lily aimait bien le fait qu’il s’était mis à sa hauteur. Sa main flattait la joue de l’enfant, un geste gentil et simple qui n’avait aucune mauvaise intention et l’enfant se laissait faire. Sans rien dire, sans s’y opposé. Il était important pour elle qu’il y ait quelqu’un qui l’écoute. Elle était nerveuse. C’est pourquoi, en se rassoyant dans son lit, elle regarda le médecin avec des grands yeux pétillants avant de prendre sa peluche et de se lancer en long et en large dans des explications enthousiasmes en français sur un sujet quelconque.

“Porcinet, il n’aime pas les totopitaux… y veut jamais y rester seul, c’est pour ca que je l’aime beaucoup. Passeque lui aussi y a peur des totopitaux et des piques-piques… mais quand on le serre fort fort fort… il a plus peur du tout… mais il aime beaucoup que l’on lui chante des chat-sons…. Et… il aime aussi quand maman est là… Regarde il lui ont mis un penchement parce que quand y était à la maison… lui aussi il a eu chaud… c’est la docteur Robbins qui ne l’a dit… mais elle a pas essepliqué à Porcinet ou à moi pourquoi maman y pas là alors Porcinet il a peur… et moi aussi passeque Porcinet il a jamais peur de rien du tout… Mais là, Porcinet il a peur… et Lily a pas de papa qui peut venir ici pour s’occuper d’elle alors Lily et Porcinet on besoin de maman, tu comprends hein?”

“ Dr Sloan, quel est le cas ?”

≈ La voix interrompit brusquement le long monologue de la fillette sur l’explication de la supériorité de son doudou sur l’ensemble des autres doudous du monde! Elle se cacha derrière son doudou, pleine d’espoir que ce qui venait d’être dit était une bonne nouvelle. La voix était une voix féminine douce mais stressée. L’accent semblait légèrement à celui de la mère de l’enfant bien que le ton n’avait pas ce petit je ne sais quoi de ludique… d’éclairer. L’enfant hésitait donc à ouvrir les yeux de peur d’être déçue, ce fut le parfum qui la fit relever la tête d’un coup sec. Les yeux pétillant d’espoir. Sure et certaine que cette personne qui venait d’entrer dans la pièce était celle qu’elle attendait depuis qu’elle s’était réveillée ce matin-là, mais qui, la petite ne le savait pas, ne franchirait jamais plus les portes de cette chambre pour venir doucement la serrer contre elle et lui dire d’une voix douce dans la langue de Molière que tout allait bien allé, qu’il serait bientôt sorti d’ici et de retour à la maison où tout serait comme avant.

“MAMAN! Non… pas maman ça! Où esseque maman est cachée?”

≈ Cette fois-ci, la question était posé avec colère. Elle avait peur. Terriblement peur. D’habitude c’était son pédiatre qui était là. C’était son médecin qui la connaissait. Le docteur Sloan avait beau être gentil avec Lily, il lui manquait quelque chose qui la rassurait autant sinon plus que son doudou, sa mère. Celle qui était toujours là avec ces cheveux coupés à la garçonne, ses vêtements amples qui sentaient la lavande et le printemps. Sur l’impact de la petite colère de l’enfant, elle avait lancé son doudou sur le sol. Le couic fit monté les larmes aux yeux de la fillette qui se laissa retombé sur son lit en commençant à pleurer. Les sanglots de la fillette semblaient difficiles à sortir. Son souffle se faisait court.

Agatha attendit que le Dr Sloan lui présente le cas, ce qu'il fit rapidement. Puis il ajouta que ceci elle s'en foutait un peu et que son réelle soucis était que la petite parlait française. L'interne s'en était rendu compte lorsque Lily avait commencé un monologue dans sa langue maternelle.

Le titulaire lui dit qu'il la mettrait sur le cas si elle lui servait de traductrice. Agatha ne voyait aucun problème à ça. Elle lui répondit dans un anglais qu'elle avait perfectionné au fil des années et qui maintenant était irréprochable, malgré un petit accent français qui persistait.

_ Oui je suis française et je veux bien être traductrice sur ce cas.

Mark s'approcha de Lily et lui dit quelque chose qu'Agatha n'entendit pas. La petite fille sembla ne pas comprendre et elle paniqua.

_ “MAMAN! Non… pas maman ça! Où esseque maman est cachée?”

La belle brune intervint vite. Elle se rapprocha du lit de Lily et se mit à sa hauteur. Dans un français impeccable, elle lui dit :

_ Lily, ne t'inquiète pas, tu n'es pas toute seule je vais m'occuper de toi d'accord ? Il ne faut pas que tu paniques, parce que sinon tu vas avoir du mal à respirer tu comprends ?

Elle essaya d'être aussi rassurante qu'elle le pouvait. Elle lui caressa les cheveux pour la rassurer tout en lui parlant.

_ Regarde, le monsieur, c'est le Dr Sloan, et il est très gentil et lui et moi, nous allons te soigner, parce tu as des brulures sur le corps. C'est pour ça que c'est tout chaud. Il faut que tu restes bien sage dans ton lit, je vais allé parler avec le Dr Sloan et ensuite on te soigne ? C'est d'accord ?
On va aussi soigner ton porcinet.

Elle lui fit son plus beau sourire et se releva. Puis retourna vers le Dr Sloan et lui demanda:

_ Elle demande où est sa mère. Vu qu'elle est toute seule, je pense que sa mère est morte, mais je lui est dit qu'on allait la soigner d'abord avec son doudou.

≈ L’entrée de l’interne avait changé beaucoup de choses dans le petit univers de la petite Lily-Ève. Il y avait cet accent qui sonnait comme celui de sa mère quand elle parlait avec le docteur Ross et qu’elle ne voulait pas qu’elle comprenne. Un accent étrange et qui ne disait absolument rien à la fillette. La présence d’Agatha éclipsa celle du docteur Sloan. Il était trop grand pour être capable de s’occuper d’elle et il ne parlait pas sa langue. Une fois son doudou récupéré, le souffle de Lily se calma un peu restant toutes fois court.

“Lily, ne t'inquiète pas, tu n'es pas toute seule je vais m'occuper de toi d'accord ? Il ne faut pas que tu paniques, parce que sinon tu vas avoir du mal à respirer tu comprends ?”

≈ En fait, Lily ne comprenait pas. Parce qu’elle n’avait jamais vraiment respiré normalement. Elle n’avait jamais été comme tous les enfants de son âge. Elle avait grandi sans les enfants de son âge parce qu’aucune garderie ne voulait d’un enfant comme elle. Elle avait grandi en fréquentant des enfants dans des couloirs d’hôpital qui avait la même maladie qu’elle ou des maladies encore pire. Mais elle avait trop d’orgueil, même pour une petite fille de 4 ans pour admettre qu’elle avait toujours de la misère à respirer… Elle n’avait pas les mots de toute façon pour expliquer tout ce qui lui fallait comme attention médicale et en fait, elle se fouttait pas mal des médicaments qu’elle devait normalement prendre. À quatre ans, le sens des responsabilités qui pèse chez un enfant malade n’est pas le même que celui qui pèse chez celui qui a dix ou douze ans. Encore à cet âge, c’est le parent qui encaisse la charge des erreurs qui se glisse dans l’administration à la maison et cette administration, dans le cas de Lily, se doit d’être ludique car sinon elle se trouve pénible.

“Mais j’ai besoin de ma maman! JE VEUX MA MAMAN À MOI… Je t’connais pas… je veux ma maman qui connait les démicaments que je prends… je veux ma maman!”

≈ Il y avait tellement d’incompréhension dans la voix de la petite Lily, tellement de vide. Il manquait trop d’informations pour que l’univers continue d’avoir un sens... La doctoresse ne pouvait pas lui dire de ne pas paniquer, sa maman n’était pas là et Lily était mal à l’aise dans un hôpital. Elle fixait Agatha avec ces grands yeux bleus tristes, son doudou serré contre elle comme un bouclier. Signe qu’elle n’avait toujours pas baisser sa garde. Signe qu’elle ne faisait toujours pas confiance aux docteurs assez pour les laisser la toucher, pour les laisser l’examiner. Elle était méfiante malgré toute sa bonne humeur. Elle avait été trop souvent hospitalisée et elle était encore trop jeune pour comprendre ce qui se passait dans son corps quand elle était hospitalisée, trop jeune pour comprendre qu’elle aurait un jour besoin d’une greffe pour survivre.

≈ Alors Lily s’était appuyé sur sa mère pour comprendre ce que les médecins disaient. Elle s’était appuyée sur sa présence dans la chambre, sur son odeur typique et sucrée pour comprendre que ce n’était pas grave. Mais aujourd’hui, les règles du jeu avaient changé. Brusquement. Lily était seule face à des médecins qui ne comprenait pas sa langue, ses origines, sa mentalité de petite fille et sa mère n’était pas à ces côtés et Lily avait mal toute seule et sans être capable de le communiquer à cause de cette timidité qui l’envahissait toujours quand venait le besoin de parler avec un médecin. Et elle luttait pour ne pas déranger… pour ne pas nuire… mais elle en avait si peur.

≈ Perdre pied à un aussi jeune âge fait peur. Parce que pour la toute première fois de sa courte existence, la petite fille ne se savait pas invincible… Elle se sentait en danger. En mode de survie. Et son doudou était sa seule et unique protection et ce n’était pas juste selon elle. Pas juste qu’elle soit seule. Il devait y avoir un prince et une fin heureuse comme dans toutes les histoires que sa mère lui contait avant d’aller se coucher… comme dans les histoires d’Annie Brocoli ou de Passe-Partout.

“ Regarde, le monsieur, c'est le Dr Sloan, et il est très gentil et lui et moi, nous allons te soigner, parce tu as des brulures sur le corps. C'est pour ça que c'est tout chaud. Il faut que tu restes bien sage dans ton lit, je vais aller parler avec le Dr Sloan et ensuite on te soigne ? C'est d'accord ? On va aussi soigner ton Porcinet.”

≈ Les rouages tournaient lentement dans la tête de Lily. Elle analysait chacun des mots. Chacune des propositions. Elle n’avait pas envie de se mettre en danger, c’était certain. Mais de là à laisser les docteurs la toucher directement? Non… Elle avait encore besoin d’être mise en confiance à sa manière. Elle avait besoin de s’assurer que cela ne ferait pas mal, car s’il y avait bien une seule et unique chose que craignait l’enfant c’était bien d’avoir mal. Elle cligna doucement des yeux en fixant son Porcinet dont le poil avait été rosi en petit endroit lors de l’incendie. Ses grands yeux couleurs océan se relevèrent vers l’interne et vers le Docteur Sloan. Pendant un long moment, l’enfant les dévisagea en analysant dans sa tête les possibilités qui s’offrait à elle. Son dos brulait malgré les perfusions que lui avait donné le docteur Robbins a son admission… Et elle savait qu’elle ne pouvait pas tolérée cela très longtemps, car c’était une petite fille brillante qui était assise dans le lit de la chambre 205.

“D’accord… si on s’occupe de Porcinet en premier… parce que moi, j’ai peur… peur que ça me fasse bobo… Si Porcinet trouve que ca fait bobo c’est non!”

≈ Résignée, l’enfant tendit son doudou. Une moue triste coloria son visage. Elle n’avait pas le choix. Il n’y avait pas de question dans la phrase de la doctoresse francophone. Il n’y avait qu’une affirmation. Mais Lily voulait bien s’assurer que dans l’absence de sa mère, sa volonté à elle soit respectée. Car malgré ces allures d’ange, l’enfant pouvait s’avérer un monstre quand on ne s’occupait pas d’elle convenablement.

Lily s'énerva, elle voulait sa maman. Elle le répéta plusieurs fois et argumenta que c'était sa maman qui connaissait les médicaments qu'elle devait prendre. La façon dont la petite fille avait dit le mot médicament fit sourire l'interne.

Quand elle lui expliqua qu'ils allaient la soigner, Lily se calma un peu, et sembla réfléchir. Pendant ce temps Agatha avait traduit ce qui c'était dit. Mark lui demanda si elle était sur que sa mère était morte.

_ Je ne suis pas sur mais j'irais vérifier dans les entrées et à la morgue. J'espère que ce n'est pas le cas, car cela complique vraiment la tache, elle est si petite et déboussolée et pour les opérations ça va être compliqué.

Alors que le Dr Slaon allait continuer, une petite voix s'éleva dans la pièce. C'était Lily qui disait qu'elle était d'accord, mais que s' il soignait d'abord son porcinet.
Agatha trouvait la logique de la petite imparable, elle voulait d'abord voir si ça allait faire mal.
Lily lui tendit alors son porcinet.

Le titulaire lui demanda alors ce que elle venait de dire.

_ Elle veut qu'on soigne son doudou, et si ça lui fait mal, elle ne voudra pas se faire soigner.

Le chirurgien plastique lui dit alors de se préparer à faire une activité couture.
Agatha sourit. C'était leur seule chance pour que la patiente accepte de se faire soigner, et il le fallait à tout prix.

La jeune interne sortit de la chambre et alla chercher des fils et tout le matériel dont elle avait besoins. Elle revint quelques minutes après dans la chambre, et s'adressa à Lily en français.

_ C'est d'accord, on va d'abord soigner ton porcinet. Tu veux regarder ?